l'homme
réseau
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Article écrit par Emmanuel-Juste Duits en l997.
Dans les rues bigarrées de nos mégalopoles, nous croisons des femmes portant le tchador, des skins, des gays, des cadres B.C.B.G... Tant de visages qui diffèrent et reflètent, des visions du monde parfois incompatibles. On a pu croire quà labri de lEtat laïc les différents atomes sociaux pourraient se côtoyer sans se voir, sans l'indifférence molle de la soft-idéologie. Une juxtaposition neutre de clans s'ignorent ou se méprisent, triste idéal. Aujourd'hui, on craindrait plutôt les frottements de plus en plus conflictuels, une logique daffrontement menaçant la société d'implosion.
Tolérance et affrontement ont la même fonction : éviter le dialogue philosophique ! Le relativisme du "chacun sa Vérité" m'empêche de m'interroger sur les visions du monde qui me contredisent.
Dans le fanatisme, si je clame "je possède la Vérité", je disqualifie et caricature les points de vue opposés aux miens.
La multiplicité des approches, des sciences et même des croyances nest-elle pas justement la richesse de notre modernité ? Nous vivons à lère de l'anthologie : modes de vie, idées, arts, pratiques conçus à travers toutes les civilisations et en tous les temps se réunissent en ce point Babélien de lHistoire. Vérités partielles, regards multiples.. Ni ignorance mutuelle, ni spirale de la haine : y a-t-il possibilité dune confrontation constructive entre les multiples courants d'idées ? Voir, puis passer au tamis de la critique les différentes grilles de lecture du réel, les multiples modèles sociaux, politiques ou religieux. Et c'est là quun mouvement comme celui des Bistrots-Philo pourrait jouer un rôle essentiel, en tant que vivier à partir duquel émergerait une structure de réflexion collective plus organisée. Que serait cette nouvelle Agora ? Lieu ouvert, décloisonnant, pour réfléchir aux fondements de notre société, pour tenter de départager les grandes options idéologiques, et ce, en les confrontant avec les acquis scientifiques et les expériences tragiques du XX ème siècle.
Mais comment mettre en place une telle pensée collective ? Impulsons des débats suivis et approfondis, sur de longues périodes et avec des personnes motivées, à propos de sujets fondamentaux (abstraits - par exemple, " lunivers a-t-il un sens ? " ou plus concrets : " Comment vivre ensemble ? Existe-t-il des lois de la vie sociale ? ").
Pour la réussite de tels débats, je vois trois ingrédients :
Les points cruciaux des débats seraient recueillis, résumés, donnant lieu à une revue ou à un Forum Internet... Il s'agirait de dresser létat des lieux de la pensée pour le XXIème siècle : quelles conceptions (politiques, religieuses, éthiques...) ont été réfutées ? Quelles théories restent encore indécidables ? Quels sont les modèles de sociétés possibles, avec quels avantages et/ou effets pervers ?
Objection votre honneur ! Il semble impossible de départager rationnellement entre les systèmes du monde. Soit. Mais on ne peut faire une telle affirmation quaprès avoir tenté l'aventure. D'autre part, la moisson d'expériences et de découvertes récentes (neurosciences, ethnologie, physique...) doivent être confrontées avec les questions philosophiques traditionnelles, et elles apportent peut-être des éléments décisifs sur quelques points. Enfin, il est possible qu'une telle recherche fasse émerger un nombre restreint de philosophèmes : ceux-ci seraient des visions du monde cohérentes, compatibles avec les faits observés, et indépartageables entre elles. Ainsi, il serait montré que la philosophie est affaire de décision non-rationnelle, et nous devrions chercher une théorie de la décision elle-même.
Dans tous les cas, le projet esquissé ici pourrait rejoindre le sens fondamental du mouvement des Bistrots-Philo. Bien sûr, nous avons des propositions précises à faire quant à l'organisation concrète de cette structure de réflexion. Il est temps de se donner de grandes ambitions tout comme en eurent bien des philosophes (songeons à lEncyclopédie).
Faute daventures de lesprit, les sombres prophéties qui annoncent le retour de la barbarie risquent bien davoir raison..
Juste-Emmanuel Duits
sur une idée élaborée avec Christian Camus
développée dans " Lhomme réseau ", chapitre 9 : Penser collectivement.
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mise à jour le vendredi 06 août 1999