l'homme réseau |
Une nouvelle approche du paranormal.
La pensée comporte
une tendance naturelle pour le moins redoutable, et génératrice
de la plupart des conflits entre les individus et les groupes : elle
tend à démontrer à chacun ce qu’il veut croire et
ce qui le conforte. Comme le disent les psychologues de l’école
de Palo Alto :
« nous construisons notre réalité ».
Au sein de la masse foisonnante
des faits, nous sélectionnons ceux qui renforcent nos opinions favorites
et « oublions » les autres, surtout si il s’agit de faits peu
connus et rares.
Prenons des exemples simples, qui éclairent ce processus : un végétarien
voulant convaincre des bienfaits spirituels de cette alimentation citera
une longue liste de sages et de philosophes végétariens,
oubliant qu’Hitler pratiquait aussi le végétarisme ! Tout
adepte d’une thérapie se concentrera sur ses réussites, parfois
valables ou même « miraculeuses », en oubliant les échecs
qu’elle a connue.
Un militant politique voulant se prouver la supériorité de
son parti se rappellera les exemples où ses adversaires se sont
mal comportés, ont été corrompus etc., et ignorera
leurs actes de générosité, de courage, de probité
etc. Cela finit parfois mal, les groupes qualifiant ceux qui ne pensent
pas comme eux d’ennemis, puis de « salauds », d’alliés
objectifs des fachos, etc.
Il suffira de songer aux
fanatiques et sectaires pour constater encore et toujours cette façon
de construire sa réalité, mais on se récriera : «
Vous généralisez un peu vite ! Il y a les gens rationnels,
qui eux, ne se laissent pas piéger et sont prêts à
une attitude scientifique de recherche du vrai ! » Est-ce si sûr
?
Les rationalistes, justement,
procèdent (souvent) comme les sectaires.
Par exemple, ils se gausseront des phénomènes paranormaux,
prendrons l’exemple des fraudes avérées et autres cas d’écoles
ridiculisant la naïveté des parapsychologues. Mais nos rationalistes
se garderont bien de considérer les quelques cas intéressants
et difficiles à expliquer par la fraude, l’illusion, ou le manque
de rigueur de leurs contradicteurs.
C’est peut-être pour cette raison que les témoignages relatant
des NDE (Near Death Experiences) restent assez peu étudiés
par la plupart des universitaires en France.
Ce phénomène complexe - certes plutôt rare, mais très
troublant - constaté aux approches de la mort, pourrait remettre
en cause dans son ensemble notre vision dominante et « rationaliste
» du monde. Un tel enjeu, loin de stimuler les « chercheurs
avides de vérité », les pousse semble-t-il à
ignorer jusqu’à l’existence des NDE – ou, plus subtil, à
n’en connaître qu’une version grossière, facile à expliquer
par la neurobiologie.
Ainsi, de victoires faciles en ignorances plus ou moins bien entretenues, chacun garde ses croyances personnelles et vit en fonction d’une pensée auto-validante. Penser consistera, la plupart du temps, à chercher de nouveaux faits qui vont dans le sens de nos besoins psychologiques et affectifs, et confirment nos préjugés.
Comment sortir de ce cercle magique ?
Tout d’abord, il faut être
convaincu de la nécessité de se remettre en question.
Toute personne un peu cultivée affirmera qu’il est positif de douter,
mais appliquera-t-elle ce grand principe à sa propre vision du monde
? On l’a vu, cela n’est pas certain. On identifie en général
ses opinions à des « évidences » au lieu d’apprendre
à les considérer comme des croyances révisables.
Et puis, on se sert de nombreux
prétextes : comme par hasard, on « a pas le temps »
d’examiner les faits qui nous dérangent, ou bien ils sont présentés
« par des gens pas sérieux » ou « par des salauds
» !
Dans Pour sortir du XXème siècle,
Edgar Morin a montré en détails comment chaque groupe dresse
autour de lui une barrière protectrice ayant pour but d’empêcher
la confrontation avec des éléments risquant de faire exploser
sa cohésion idéologique.
Ensuite, une fois réellement
décidés à élargir sa pensée, la démarche
à suivre s’impose. Il s’agit de rencontrer les personnes qui ne
pensent pas comme nous ! Ces personnes vis-à-vis desquelles nous
avons parfois des préventions, et qui en ont sans doute à
notre égard, que nous considérons peut-être comme «
peu scientifiques », naïves ou carrément malhonnêtes…
C’est aussi leurs arguments éventuels, les faits qu’elles rapportent,
qu’il nous faudra
considérer !
A la limite, dès qu’un groupe, un auteur, un chercheur, semble présenter un désaccord avec soi sur un point fondamental, c’est déjà une bonne raison de s’enquérir de son point de vue. On voit ici à quel point cette démarche est étrangère aux réactions psychologiques et cognitives les plus naturelles.
Nous tendons à « réduire les dissonances cognitives », et non à les amplifier. Or, comme j’ai cherché à le montrer dans L’Homme réseau, c’est ce réflexe qui cause la création d’univers mentaux différents, puis d’atomes idéologiques qui s’ignorent ou s’affrontent…
Pour décloisonner
la pensée au sujet des questions existentielles et philosophiques,
nous proposons de faire se rencontrer des sceptiques et des croyants, des
scientifiques et des témoins, pour déjà s’informer
autour des phénomènes dits paranormaux.
Nous ne préjugeons en rien de la nature ultime de ces phénomènes
; nous considérons seulement qu’ils sont porteurs de remise en question
philosophiques, qu’ils représentent un donné social, et suscitent
nombre d’articles, recherches, voire des croyances potentiellement dangereuses.
L'association CENCES n’a pas pour vocation de « démontrer » une thèse ; CENCES souhaite favoriser l’échange de données entre personnes d’horizons différents, qui veulent étudier l’information sur le paranormal. Ce geste simple, presqu’évident, pourra déboucher sur une prise en compte par de nombreux chercheurs et journalistes, d’un ensemble de données sociales, psychologiques, ou peut-être « paranormales » (mais ici restons prudents !), souvent négligées. Et qui pourraient bien déstabiliser le monde de demain…
Emmanuel-Juste Duits.
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mise à jour le vendredi
25 février 2000